mercredi 28 mai 2008

Coffret Deutsche Harmonia Mundi 50ème anniversaire



A l’occasion du 50ème anniversaire de sa création, le célèbre label Deutsche Harmonia Mundi publie un coffret reprenant un échantillonnage varié du répertoire principalement baroque enregistré par l’éditeur. Ce coffret de 50 CD est proposé au prix très attractif d’une cinquantaine d’Euros.
On y trouvera rien moins que 47 compositeurs différents, de Giovanni Battista Degli Antonii à Jan Dismas Zelenka, en passant par les beaucoup plus fréquentés Bach, Rameau et Vivaldi. Le coffret couvre en outre une période de plus de 6 siècles, grâce à la présence (d’ailleurs presque incongrue) de quelques compositeurs médiévaux ! Le plus ancien d’entre eux est Pérotin le Grand (1160 - 1230), tandis que le plus moderne, Luigi Boccherini, naît en 1743 pour s’éteindre en 1805. Mais 90 % du coffret est consacré à des compositeurs nés après 1500. Ce coffret fait également une place de choix au maître des maîtres, Johan Sebastian Bach, dont les œuvres (les Variations Golberg, l’Offrande Musicale, la Messe en Si, les Suites pour Violoncelle, …) occupent plus de 7 CD. Rameau et Vivaldi y sont également bien représentés. Mais des compositeurs beaucoup moins connus sont aussi présents. Les œuvres incontournables côtoient donc des plages moins connues du répertoire baroque, à l’instar de ces magnifiques Pièces pour Viole et Clavecin d’Antoine Forqueray, des Sonates de Jean-Fery Rebel ou du Requiem à 15 de Heinrich Biber.
Les experts pourront peut être critiquer l’absence de certains compositeurs (on pense par exemple à Marc-Antoine Charpentier, Heinrich Schütz, Thomas Tallis pour ne citer qu’eux), et le choix des œuvres présentées. Mais pour une dépense modique, il serait néanmoins dommage de passer à côté de cette collection, qui présente un large éventail d’oeuvres, dans des interprétations généralement de très haut niveau - voire historiques - et d’une qualité d’enregistrement s’échelonnant manifestement de très bon à exceptionnel. Les gravures ont été réalisées entre 1986 et 1998.
A titre d’illustration, nous vous livrons ici nos impressions d’écoute de quelques uns des disques écoutés …


Johan Sebastian Bach (1685- 1750)Suites pour Violoncelle
Hidemi Suzuki
Date d’enregistrement : 1996 – DDD

Il n’est pas facile de captiver son auditoire en enchaînant les Suites pour Violoncelle, même si celui-ci est acquis à la cause. On peut évidemment choisir de n’en écouter que quelques unes à la fois. Mais l’écoute prolongée de ce disque permet justement de se rendre compte à quel point Hidemi Suzuki fait vivre ces suites sans entraîner la moinde lassitude … Le caractère vivant de l’interprétation est ici superbement mis en valeur par l’enregistrement lui-même, riche en micro-informations de jeu, de respiration de l’interprète, et qui situe l’instrument et son maître au cœur d’une belle acoustique réverbérante. Cette captation sied merveilleusement à ce programme. L’instrument présente un grain magnifique, offre une palette de sonorités tendues et boisées, et jouit d’une brillance très éloquente. La prise de son contibue à bien le matérialiser, mais on perçoit sans difficulté tout le travail de salle, qui tend à défocaliser légèrement le violoncelle. L’instrument, qui ici descend très bas, est restitué de manière un peu plus corpulente qu’au naturel. Et encore … Toujours est-il que l’écoute de ce disque sur un système de qualité est un ravissement permanent … qui incite l’auditeur même hésitant à découvrir ces très belles pages sans aucune retenue.


Johan Sebastian Bach - Double Concerto BWV 1060 – Concerti pour Hautbois
Ensemble Camerata Köln
Date d’enregistrement : 1993 – DDD

Quel régal que ce double concerto ! Voici une interprétation savoureuse, chantante à souhait, et magnifiée par une prise ultra-précise, assez proche des instruments. L’ambiance de salle n’est en effet que peu présente. Les pupitres sont hyper-détourés mais malgré tout retranscrits avec beaucoup de douceur. L’adagio du double concerto rappelera d’excellents souvenirs aux cinéphiles (ce mouvement fait partie de l’exceptionnelle bande originale du non-moins somptueux Barry Lyndon de Stanley Kubrick). Une exécution un peu plus lente de ce mouvement en aurait d’ailleurs décuplé le potentiel émotif. Quoiqu’il en soit, il s’agit incontestablement d’une réussite artistique et technique !

Heinrich Biber (1644 – 1704)Requiem à 15
Agostino Steffani (1654 – 1728) Stabat Mater
Date d’enregistrement : 1995 – DDD

Très beau couplage d’œuvres sacrées dans des interprétations inspirées du Chœur & Orchestre Baroque de l’Académie Bach Néerlandaise, placée sous la direction de Gustav Leonard.

L’enregistrement très ouvert, fouillé et précis, notamment sur les voix. Belle acoustique de salle bien dosée, ne prenant pas le pas sur le son direct. Excellente profondeur des plans sonores. Les instruments à cordes sont présents et bien timbrés.


Luigi Boccherini (1743 – 1805) – Concerto pour Violoncelle – Symphonies
Ensemble TafelMusik dirigé par Jean Lamon – Violoncelle solo : Anner Bylsma
Date d’enregistrement : 1989 – DDD

Brillance et éloignement des cordes donnent à cette prise un petit côté artificiel. Doit-on en attribuer ce caractère à l’âge respectable de cet enregistrement tout numérique ? Toujours est-il que la qualité des interprétations est au dessus de tout soupçon, et la musicalité des œuvres n’en est pas compromise le moins du monde. Par contraste, le violoncelle est magnifiquement défini et présent, et le jeu d’Anner Bylsma très intense dans le Concerto en B Majeur … Les versions sont d’une manière générale très dynamiques. Quelques très belles pages Adagio du Concerto en Gdur. La prise du violoncelle regorge de petits détails et bruits de jeu qui le rende infiment présent. Sinfonia prise dans une salle beuacoup plus réverbérante.
Malheureusement, on n’évite pas quelques stridences purement techniques dans les passages forte.


Antoine Forqueray (1671 – 1745) – Pièces de Violes et de Clavecin
Jay Bernfield – Viole de Gambe
Skip Sempé – Clavecin
Date d’enregistrement : 1991 – DDD

Merveilleusement captées, ces pièces pour viole et clavecin sont un délice pour l’oreille. Forqueray n’est que d’une vingtaine d’années le cadet de Marin Marais et cela s’entend ! Mais pourquoi bouder notre plaisir ? Ces pièces cumulent tout à la fois expressivité, légèreté et solennité. La Cottin, pour clavecin seul, et La Portugaise, toute en scansion tendue, sont de pures merveilles. Finalement, ce recueil fait sans conteste de Forqueray l’égal d’un Sainte-Colombe. La prise de son est magnifique de naturel du point de vue tonal. Elle est charnelle à souhait et met en relief le jeu et la respiration mêmes des interprètes. Elle propose des instruments au corps bien matérialisé, avec une véritable extension dans le grave. Les amateurs d’authenticité écouteront ces pièces sous un volume modéré, comme il sied avec ces instruments anciens au registre naturellement peu puissant.


Christoph Willibald Gluck (1714 – 1787) Le Cinese (Les Chinoises)
Anne-Sofie Von Otter – Schola Cantorum Basiliensis – Direction : René Jacobs
Date d’enregistrement : 1986 – DDD

C’est une distribution prestigieuse que l’on retrouve dans cet opéra de chambre (créé en 1754), qui n’est certes pas le plus connu du compositeur. Il s’agit s’il on veut d’un exercice de style à quatre : trois femmes chinoises dont Lisinga, et Silango, son frère, s’emploient à se chanter mutuellement des airs, sur fond de rivalité amoureuse légère. La scène conclusive, qui met en scène les quatre chanteurs, épilogue sur les défauts respectifs des différents styles musicaux évoqués au cours de la soirée …
L’opéra est bien le domaine de prédilection de ce compositeur cosmopolite. Né en Allemagne, le jeune Gluck entreprend à 17 ans des études de philosophie à Prague, puis de composition musicale auprès de Sammartini à Milan. Déjà auteur de plusieurs opéras, il émigre à Londres en 1745, où sa rencontre avec Haëndel tourne au sûr. Cela ne le détourne pas de ses projets artistiques. Après avoir encore parcouru l’Europe, Gluck s’installe à Vienne auprès de la famille princière de Saxe-Hildburghausen à partir de 1752, et y compose, entre autres œuvres, son séminal Orfeo ed Eurydice (1762) qui marque la « réforme de l’opéra ». Moins que le sujet peut-être, la forme des Chinoises est ici relativement classique.
On ne peut que regretter que l’enregistrement ne soit pas de meilleure qualité encore. Si les timbres des chanteurs et leur positionnement dans l’espace sont plutôt bien rendus, le reste de l’orchestre affecte malheureusement une sonorité de tonneau et une dynamique plutôt tassée. Ici encore, le millésime de l’enregistrement y est peut être pour quelque chose.


Orlando Lassus (1532 – 1594) - Requiem à 5 – Magnificat – Ave Maria
Ensemble pro Cantione Antiqua – Direction Bruno Turner
Date d’enregistrement : 1988 – DDD

Peut-on envisager musique plus sacrée que le Requiem à 5 de Lassus ? Ces magnifiques pages emportent l’auditeur, même athée ou agnostique, vers des sommets de recueillement, où, à défaut de rejoindre le divin, il pourra toujours partir à la recherche de lui-même … Les compositions vocales et sacrées restent l’apanage de ce compositeur né en 1532 dans le Hainaut (actuelle Belgique francophone). Il est en effet l’auteur de 58 messes dont plusieurs requiem (de 4 à 8 voix), de plus de 500 motets, et d’une centaine de magnificats. Il était d’ailleurs lui-même doté d’une voix exceptionnelle, ce qui valu d’être par trois fois l’objet de tentatives d’enlèvement ! Il s’attire vite la protection du Comte et condottiere Ferdinand Ier Gonzague qui l’emmène à sa suite en Sicile. Il est ensuite nommé maître de chapelle à Rome (en 1553), puis à Munich (en 1563).


Antonio de Literes (1673 – 1747)Los Elementos
Al Ayre Espanol – Direction Eduardo Lopez Banzo
Date d’enregistrement : 1998 – DDD

Pratiquement plus connu pour ses zarzuelas (ancêtres de l’opéra comique) dont il fut un maître, Literes n’a finalement composé que deux opéras, un Didon et Enée (dont la paternité lui est d’ailleurs discutée) et les présents Elementos. Le sous-titre de cette œuvre (Opera armonica al estilo ytaliano) en indique clairement l’inspiration, à une époque où, chef de la Chapelle Royale à la cour de Philippe V, la concurrence avec les musiciens italiens invités par le nouveau roi et la suppression des salaires l’oblige à une abondante production.
Los Elementos est un opéra très agréable à entendre, qui malgré son inspiration italienne revendiquée est relevé de rythmes et airs tirés de danses typiquement ibériques. Il est de plus intégralement chanté en espagnol. L’action y est en fait assez réduite. Aux quatre éléments (El Ayre – La Aurora, La Tierra, El Agua, El Fuego) s’ajoute un cinquième personnage (El Tiempo). A l’exception des interventions ponctuelles d’un contre-ténor, ces cinq rôles sont ici tenus par des femmes. Les Eléments, tour à tour opposés puis unis dans leur action sur le monde, finissent par réveiller le Temps, qui leur rappelle sa constance, son éternité, et s’allie avec L’Air (ici associé à L’Aurore) dans la création d’un jour nouveau qui repousse les ténèbres.
L’interprétation par Al Ayre Espanol, très enlevée, a fait l’objet de nombreuses critiques dithyrambiques. Outre les chanteurs, l’effectif rassemble trois violons, une viole de gambe, un violoncelle, une contrebasse, deux guitares, un théorbe et des castagnettes. La prise de son sert à merveille cet ensemble coloré et vivant. On notera notamment une belle impression de profondeur de la scène sonore, ainsi qu’une présentation instrumentale très riche et réaliste.


Jean-Féry Rebel (1666 – 1747) Sonates pour Trio « Tombeau »
Ensemble Rebel
Date d’enregistrement : 1997 – DDD

Depuis quelques courtes années, il n’y a pas compositeur plus à la mode que Jean-Féry Rebel ! Musicien français jusqu’alors quasi inconnu, il doit sa résurrection à l’exhumation de ses Eléments, composés en 1737, et qui comportent notamment une introduction follement audacieuse (mettant en oeuvre des clusters de notes) semblant tout droit tirée d’une page de Xenakis. Mais n’oublions pas que ce virtuose du violon fût également maître de musique à l'Académie Royale de Musique, puis compositeur de la Chambre du Roi. Sous l’académiste se cachait donc un explorateur !
Avec les Sonates pour Trio (violon, viole de gambe, clavecin), composées en 1695 mais publiées en 1712, nous sommes ici dans la plus pure tradition baroque. Le terme « Tombeau » doit ici être pris au sens d’hommage musical et n’a pas forcément de connotation posthume.
Toujours précis et clair, cet enregistrement n’a cependant pas tout à fait la présence des meilleures gravures de ce coffret. L’esthétique sonore est un peu plus lisse, plus lointaine et tend vers une forme d’acidité. L’effectif y est évidemment pour beaucoup, mais on aurait quand même apprécié un peu plus de mordant, d’épaisseur et de grain instrumental. L’exécution, souvent rapide (trop ?), contribue aussi au petit effet de crispation ressenti par moment. Les pages de Rebel sont pourtant souvent grâves, à l’instar du superbe « La Venus » et du puissant « Tombeau de Monsieur de Lully », qui est bien, lui, un poignant hommage à une figure disparue.


Technique :

Les enregistrements réunis dans ce disque se distinguent par une grande pureté des voix, magnifiquement situés dans une acoustique réverbérante, comme il se doit pour ce type d’œuvre. Néanmoins, la prise de son assure une véritable proximité physique avec les chanteurs, que l’on peut sans peine situer individuellement dans l’espace. Une très belle réussite.
Nous avons apprécié :
  • la large palette de compositeurs représentés,
  • l’excellent niveau des interprétations, données par des solistes et ensembles de réputation internationale,
  • la très bonne qualité globale d’enregistrement, atteignant l’exceptionnel sur certaines gravures,
  • le prix, très attractif, et qui en fait l’achat idéal pour l’amateur qui souhaite s’initier au baroque.
Nous avons moins aimé :
  • le petit fascicule, assez pauvre,
  • l’absence d’informations sur les lieux des prises de son, et sur les équipes techniques impliquées,
  • quelques erreurs typographiques sur les pochettes (là, c’est vraiment pour finasser !).