vendredi 14 novembre 2008

StreicherKreis de Florence Baschet - La répétition


Mercredi 12 novembre, 10 h 00, Ircam, Salle de Projection



Préalablement au concert, nous avions retrouvé le Quatuor Danel en répétition de StreicherKreis, sous la direction de Florence Baschet. Un travail de haute précision, émaillé des consignes très claires données par la compositrice tant aux musiciens qu’au tandem Serge Lemouton (ici à droite avec F. Baschet) – Maxime Le Saux, respectivement responsable de l’informatique musicale et ingénieur du son associés à l’œuvre.

Première difficulté : dans l’immense salle vide, le quatuor acoustique sonne presque «léger», en tout cas sensiblement détimbré par rapport à une performance en public. Les Danel travaillent d’abord quelques sections difficiles de l’œuvre, qui sont explorées à fond : l'analyse est pratiquement menée note par note pour certaines mesures. Le suiveur de geste est en action. De temps en temps, il faut revoir la fixation d'un capteur au poignet des interprètes car leurs gestes sont amples et rapides – et le seront sans doute davantage le soir du concert.

Enchaînement sur un passage incroyablement tendu et chahuté, puis retour au bruissement de silence – les notes s’étirent en longues et fines tensions dramatiques. Les frottements passés à la loupe de l’amplification font surgir des spectres analysés et exposés dans leur grain le plus fin.
On poursuit : long filage sur un passage où les cordes sont tout juste frottées, et où leurs bruissements sont magnifiés par le dispositif électroacoustique. Depuis le milieu de la salle, Florence Baschet commande d'un pupitre le mixage des effets, leur dosage quantitatif par rapport à l’exécution en cours. Elle occupera d’ailleurs ce même poste lors du concert. L’ingénieur du son est fréquemment invité à quitter sa console pour se mettre à la place de la compositrice.

Un premier filage complet de l’œuvre donne 27 mn 15 s, un peu plus longtemps que prévu. C'est la pause, bienvenue pour les musiciens, mais pas la récréation ! La compositrice a rejoint les musiciens sur scène. Ils recherchent ensemble le meilleur équilibre pour le quatuor. Pour Florence, l'alto de Vlad Bogdanas semble en retrait, alors que le musicien a l’impression de donner le maximum !

Chaque passage est réexaminé à la loupe : extrêmement précis, les musiciens se souviennent parfaitement des quelques moments de flottement ou de désynchronisation survenus lors de cette répétition. Guy Danel, le violoncelliste, fait part d'un doute : un point d'orgue entre un passage très animé et la section suivante, plus recueillie, lui pose problème. Il faudra le renégocier. Guy se propose de n’intervenir ici qu’en réponse à l’écho de l'électronique afin que le geste soit plus musical.
Nous parlons maintenant de tempo. La question cruciale de la battue est abordée. Ici, le quatuor Danel fait valoir sa vision particulière de la synchronisation : plutôt que d'annoter la partition au préalable, les musiciens préfèrent tout d'abord se caler entre eux à l'oreille, et ne définir une gestuelle de battue que lors des toutes dernières répétitions. Dans cette pièce complexe, ce rôle de direction sera d'ailleurs dévolu à tour de rôle à chaque exécutant. On intégrera donc la battue au prochain filage.

Mais l'ingénieur du son signale un accrochage larsen lors des passages pp et ppp ! Dans une section où la granularité des pianissimi est exacerbée par le dispositif électroacoustique, le niveau émis par les haut-parleurs est repris par les micros de prise. Faut-il jouer moins fort ? On décide que non, Florence tenant au contraire à ce que les musiciens se laissent aller. A la technique de garder le contrôle sur la diffusion !

Nouveau filage, en acoustique, de la section E… Cette fois, le quatuor est bien en place ! On rajoute maintenant le dispositif électro : des réverbérations apparaissent, ainsi que l’extension du corps du violoncelle. Mais une nouvelle pause s’avère nécessaire : quelques minutes sont accordées aux musiciens pour qu’ils définissent entre eux les battues de la section G.
F G H sont ensuite enchaînés, avec la battue et la mise en œuvre des capteurs. Attention ! Des accidents sont redoutés en mesure 155, et à la négociation de la difficile transition entre 214 et 215. Ici, les frottements des cordes aigues et graves déclenchent des harmonisations micro-tonales. Un drone grave, seul «instrument virtuel» de la partition, vient assombrir ce passage par ailleurs très acide, tout en notes filées. En mesure 208, le traitement déclenche une grappe de réverbérations caverneuses et futuristes à la fois. Tout cela est très complexe, surtout lorsque l’on songe que ces effets sont la résultante de la gestuelle des instrumentistes, et non la simple superposition de séquences préenregistrées.

Les échanges sont nombreux et vont droit au but entre Florence Baschet et les membres du quatuor : un silence de Guy en fin de mesure est perçu par la compositrice comme une césure trop marquée. Il faudra revoir cette ponctuation. Marc Danel, premier violon, attire l’attention sur le sujet tout pragmatique du tournage des pages de la partition, critique à certains moments, susceptible de provoquer des déconcentrations !
Mesure 252 : le dispositif électro prend toute son ampleur en marquant la démultiplication des gestes des musiciens. Mais après le travail de calage, cette mesure respire !


Nouveau filage de l'œuvre : un petit signe de déclenchement est convenu entre Marc et Maxime, à la régie son. La première mesure naît du silence. Un monde de glissements s'instaure. Cette fois‚ tout le filage s'écoule magnifiquement, jusqu'à ce que Gilles Millet, peu de temps avant la fin, casse une corde de son violon ! Pause. On se regroupe. On envisage ensemble le cas où le même incident se reproduirait lors du concert. Que faudrait-il faire ? Recommencer depuis le début puisque la pièce n’est pas découpée en mouvements ? Reprendre la section en cours ? Ou simplement continuer, si la fin de l'œuvre est proche ? On s'interroge... Mais que fait-on donc chez Haydn ? Ah, mais chez Haydn, il n’y a pas d'électro à recaler ! Florence va y réfléchir, la question n'est pas tranchée.

Ah, et pour les mesures d'introduction, Florence recommande au quatuor une vision plus géométrique des choses : le découpage des verticales et des horizontales doit être mathématique comme un théorème ! Au moins au début de l'œuvre, qu’elle ne souhaite surtout pas «romantiser».

Il est 13 heures. Ce sera tout pour StreicherKreis, au moins jusqu’à la générale qui a lieu demain. Mais après le déjeuner, il faut encore répéter les pièces de Rivas et de Bédrossian…

Nous retrouverons les deux autres volumes du cycle avec le quatuor Diotima, le jeudi 5 février, avec des œuvres de Hugues Dufourt et Brian Ferneyhough, et avec le quatuor Arditti, le vendredi 19 juin, dans un programme réunissant Philippe Schoeller, Arnold Schönberg et Denis Cohen.



Crédits photographiques : Christian Izorce
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