samedi 31 janvier 2009

Jean-Luc Fillon - On the Reed Again


En concert d’ouverture du Festival Oboe 2009 : programme Jazz in Love

La sortie de ce disque de Jean-Luc Fillon (hautbois/cor anglais) coïncide avec l’édition 2009 du Festival du hautbois à Paris (Oboe 2009).

Cet album, qui rassemble le bassoniste new-yorkais Mike Rabinowitz, le guitariste Michael Felderbaum, le contrebassiste Bruno Rousselet et le batteur Karl Jannusha, développe un discours musical très séduisant composé de morceaux travaillés, dont l’originalité tient peut être davantage à la forme qu’au fond.

Un discours - un parcours plutôt, comme le suggèrent titre et pochette – qui tire son originalité de la présence du hautbois et du basson, car ces deux instruments ne font qu’exceptionnellement partie des formations de jazz. L’approche est moderne, groovy, les morceaux flirtent par moment avec le free (le titre «Kairos»), pour revenir enfin sur des phrasés mélodiques qui s’étirent en de longs morceaux en général très construits.

J’aime tout particulièrement «Spick & Span» et son intro tendue, presque coltranienne. Le titre «Anande» possède quant à lui un petit quelque chose d’un bon titre de Weather Report. On ne s’étonnera pas de trouver sur ce disques quelques belles ballades («The Aerie», «For Jean-Luc») auxquelles les timbres sombres du hautbois et du basson confèrent une saveur parfois mélancolique, voire tragique (en particulier sur la très belle mélodie «Booty», et sur «Twin Flowers – In memoriam 11 sept 2001»).

Sur «Les 100 Ciels», J.-L. Fillon et M. Rabinowikz développent avec leurs bois respectifs un entrelacs harmonique complexe et inventif que complète soudain une digression guitaristique qui n’est pas sans évoquer le son d’un Mike Stern ou d’un Pat Metheny.
Voila une musique plutôt bien faite, portée par des musiciens qui semblent s’amuser, notamment sur un titre tel que «Vertigo» dont on citera en exemple l’excellence virtuose et quasi irrepressible de la section rythmique.

Le concert du 14 février permettra de goûter à la saveur toute particulière de cette formation (mais sans Mike Rabinowitz ce soir là) et d’ouvrir le festival Oboe 2009 sur une note de modernité accomplie !

Technique

Tous les moyens humains et techniques ont été rassemblés pour que cet album sonne. Les sonorités originales qui s’y développent sont captées et retranscrites de manière simple et directe, avec beaucoup de présence et de propreté. Bruits de clés du basson, souffle du hautboiste, mordant du contrebassiste et frappe du batteur, tout est reproduit en vraie grandeur ! Un son libre et copieux...















Festival Oboe 2009 à Paris


Hautbois, à la ville

La 9e édition du Festival du hautbois à Paris se déroulera cette année du 14 février au 14 mars prochains. Voici donc presque dix ans que Marika Lombardi, sa créatrice et directrice musicale, s’emploie à rapprocher cet instrument du public, dans le cadre d’une programmation variée rassemblant musique traditionnelle, jazz, expériences improvisées, en complément des nombreuses œuvres de musique de chambre de toutes époques qui en constituent l’essentiel. Pourquoi le hautbois ?

Marika Lombardi explique : «C’est finalement le hasard en ce qui me concerne ! Enfant, je pratiquais la flûte mais voulais absolument me lancer dans le violoncelle. Au conservatoire, on me l’a déconseillé, à cause d’une main gauche jugée insuffisamment robuste. Je me suis donc dirigée presque par hasard vers le hautbois, qui m’a vite apporté énormément de plaisir. Après avoir entamé une carrière de soliste et d'enseignante, j’ai souhaité faire connaître cet instrument pour lui-même, en marge de la position conventionnelle et un peu tamisée qu'il occupe au sein de l’orchestre classique». Car cet instrument très ancien a depuis toujours suscité de nombreuses compositions. Outre ses origines antiques et sa présence dans les musiques traditionnelles de nombreux pays (*), il est équitablement représenté dans les répertoires baroque, classique, romantique et contemporain.

Le programme 2009

Cette année, le festival investira des lieux prestigieux et originaux : la Schola Cantorum (rue Saint Jacques), la Cathédrale américaine, située dans le 8è arrondissement et Le Bateau Daphnée posté quai de Montebello, déjà fréquenté lors d'éditions précédentes du festival.

En temps forts du programme Oboe 2009, signalons tout d’abord le concert d’ouverture du 14/02, qui met en scène la formation jazz du hautboiste Jean-Luc Fillon. Ce concert coïncide avec la sortie de son album On the Reed Again (lire notre critique). Pour rester dans la même tonalité, le concert Oceano Nox du 27/02 rassemblera un autre quartet jazz mené par Marika Lombardi elle-même, autour des compositions de Franck Petrolovitch.


En territoire plus classique, mentionnons le Trio Ap’passionato de S.Goyeau (hautbois), M.Coquart (cor) et Y.Otsu (piano), qui interprètera (le 06/03) certaines des œuvres de compositeurs classiques méconnus qu’ils viennent d’enregistrer au disque (paru fin 2008 chez Polymnie).

Ou encore un duo piano – hautbois consacré aux Mélodies françaises de Poulenc, Debussy, Chopin et Koechlin (le 28/02).

Enfin, le concert de clôture Bouquet de Bach du Trio Halogran (le 14/03) ne mettra en scène que des représentants de la petite famille des instruments à anches doubles - hautbois, hautbois d’amour (à la tonalité légèrement plus sombre) et basson (le grand frère) – dans une suite de transcriptions des Inventions et Symphonies à deux et trois voix pour piano et des Sonates à trois voix pour orgue de Bach.

Ajoutons que la douzaine de concerts proposés représentera un large éventail d’époques et de compositeurs de toutes nationalités : Praetorius, Philidor (artisans de la naissance du hautbois baroque), Scarlatti, Zelencka, Mozart, et même Stravinsky, Britten, Chaynes et Piazzola, pour ne citer qu’eux.

En marge des programmations musicales proprement dites, deux master classes sont organisées (les 21/02 et 07/03, inscriptions vivement recommandées), et seront animées par les maîtres incontestés Lazslo Hadady et Jacques Tys. En avant-première du festival (du 9 au 15 février), une exposition de photos et de tableaux d’artistes sélectionnés par Marika Lombardi se tiendra sur le Bateau Daphné.

Du Trio Alla Barocca à la formation électrifiée Oceano Nox, tout est possible au Festival Oboe !
Un programme riche et vivant, évidemment un peu pointu, associant de nombreux virtuoses !




(*) sous la forme du duduk arménien, des zurnas du bassin méditerranéen, des alghaitas africains...

Oboe 2009, du 14 Février au 14 Mars 2009
Prix des places : 20/15 € (Schola Cantorum), 12 € (Bateau Daphnée).
Gratuit pour les concerts de la Cathédrale américaine.

Renseignements et réservations au 01 40 53 89 15 ou sur www.oboeparis.com


Crédits photographiques : Anissa KATAR


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lundi 19 janvier 2009

Rabih Abou Khalil en salle, et au disque…


Du blues à l’oud ?
Saviez-vous que Rabih Abou Khalil était un fin et piquant humoriste doublé d’un audacieux bluesman ? Pour ma part, je l’ignorais, et ne l’ai découvert que samedi 17 janvier, lors de son passage à la Maison de la Musique de Nanterre.
Qu’il soit un savant musicien, un recruteur émérite de talents cosmopolites, qu’il ait un certain sens de l’humour, cela ne peut échapper à personne. Il n’y a qu’à prendre connaissance des informations portées sur ses albums (récents ou moins récents), et à prêter un peu l’oreille à la musique qu’ils contiennent pour s’en rendre compte. Et pour l’humour, reconnaissons qu’un musicien qui intitule ses compositions «Mourir pour ton décolleté» ou «Best if you dressed less» (sur l’album Songs for Sad Women), «The Lewinsky March» (sur Cactus of Knowledge) ou «Ma muse m’amuse» (que l’on trouve sur plusieurs disques, dont Morton’s Foot), ne peut pas être foncièrement mauvais. Mais sa prestation à l’oud ce soir là l’apparente carrément à la grande famille des guitaristes, en le sortant de son aura de musicien «ornementaliste» marqué par le folklore oriental.

En ce concert du début 2009, c’est tout d’abord une puissance insoupçonnée qui se dégage du groupe, dès l’exécution du premier morceau, déjà mené tambour battant par le jeune drummer américain Jarrod Cagwin. Tiens, et pourquoi est-il américain, ce monsieur ? Nous l’apprendrons dès la fin du premier morceau, quand, déjà, Rabih s’empresse de nous faire la présentation (au vitriol !) de ses comparses. Pourquoi américain, disais-je ? Mais, tout simplement pour rendre hommage à ce peuple «qui s’intéresse à la culture musicale arabe depuis le moyen-âge, et l’a encore récemment prouvé au cours de plusieurs expéditions, notament en Irak». Ce Jarrod là, installé à sa gauche (vu de la salle), illuminera tout le set d’un jeu complexe et inventif, rapide et virtuose.

L’accordéoniste Luciano Bondini est assis à la droite de Rabih, qui continue : «Luciano joue d’un instrument assez facile puisque muni de touches aux couleurs bien définies, noires, blanches et grises. Un instrument pour enfant, quoi !». Et qui en jouera avec une magique dextérité et un air constament inspiré.

Positionnés à l’arrière, tels deux imposants gardes du corps (désolé messieurs), «Monseigneur» Gavino Murgia, déjà compétent au saxophone, carrément ahurissant (et guttural) au chant - pour ne pas dire au borborygme, ou alors à une forme de scat très … primale - et le français Michel Godard, grand maître de la gravité - c'est-à-dire de la guitare basse et surtout du tuba - que Rabih a quand même préféré à un musicien bavarois, même si ces derniers sont les spécialistes incontestés de cet instrument. Mais pas de teuton tubiste dans cet effectif, car «leur sens du groove et leur propension à se dandiner un peu trop fougueusement d’un pied sur l’autre» (!) exaspèrent le pourtant gentil Rabih.

Du vrai groove, il y en aura d’ailleurs en permanence, au cours de ce set qui file bon train sans que l’on se rende compte du temps qui passe. Et de l’humour musical aussi, comme dans «Lobotomie Mi Baba LU», où Murgia le baryton s’en donne à cœur joie, si ce n’est à gorge déployée (car ses poussées vocales restent singulièrement rentrées, etranglées, et c’est bien là l’une des originalités du morceau). Les morceaux s’enchaînent, tous introduits par de croustillantes explications. On apprend par exemple que l’ananas des pizza hawaïennes servies en Afghanistan n’est pas là pour des raisons gastronomiques, mais pratiques : il s’agit de cacher les petits morceaux de jambon. «Dr Gieler Wiener Schnitzel» est un hommage à un dentiste autrichien de ses amis, cuisinier de tournée, qui confectionnerait un schnitzel merveilleux susceptible de rendre leur vue aux aveugles, leur voix aux muets, et quasiment leurs bras aux manchots ! Suis le très relevé «Fish & Ships & Mashy Peas», et pour continuer dans le musico-gastronomique, un savoureux «Croissant» …
De nombreuses compositions originales, dont celle dédiée à une usine productrice d’un nouveau modèle de tapis volant, et qui vient juste de mettre au point de chaussures du même métal… Bien entendu, on ne pouvait pas passer à côté de l’inspiration orientale présente dans la plupart des morceaux, mais qui ce soir là, restait l’une et non la seule des composantes des compositions jouées.

Une formation originale, un concert enthousiasmant, une salle surchauffée… Voila des moments musicaux comme on les aime !

Et au disque ?

Peu avant cela, Rabih Abou Khalil sortait fin 2008 son dernier album Em Português, entouré de la même formation, à laquelle s’ajoute le jeune chanteur portuguais Ricardo Ribeiro. Un recueil de poésies portuguaises de la plus haute tenue, tout en nuances, mais dont l’accompagnement musical s’écarte à l’évidence – et de manière assez réussie – de l’esprit strictement fado. Cet album sera le fil conducteur des prochains concerts de sa tournée de février 2009, qui l’amènera à Bilbao, Paris (à l’Alhambra, le 6), puis dans différentes villes d’Allemagne (où il a élu domicile). Nouveau passage en France le 6 octobre à Nancy, le 16 octobre à Vincennes et le 21 novembre dans le cadre du festival Jazz au fil de l'Oise.

En 2007, paraissait le savoureux Songs for Sad Women, enregistré en collaboration avec Gevorg Dabaghyan, jeune mais célèbre joueur de duduk (le haubois arménien), et toujours en présence de ses compères Godard (au serpent) et Cagwin (à la batterie). Nous sommes avec ce disque dans le cœur de métier de Rabih Abouh Khalil. Le maître y distille ici de longues, savoureuses et hypnotisantes compositions très marquées par le folklore méditérannéen. Une sorte de retour aux sources après quelques excapades musicales ici et là, pour cet infatigable créateur (près d’une vingtaine d’opus sur le label Enja depuis ses débuts en 1986).

Technique

Mention spéciale aussi pour la technique développée par son complice musicien et ingénieur du son émérite Walter Quintus. La quasi-totalité de l’œuvre d’Abou Khalil est enregistrée sur le label Enja Records par ce magicien du son. Les prises sont en général d’un très grand naturel, qui convient idéalement à ce type de formations acoustiques aux timbres recherchés et quelque peu inhabituels (au moins pour l’auditeur européen). Ce sont aussi des enregistrements qui cumulent précision et dynamique, et présentent un message d’une largeur de bande impressionnante. Des qualités susceptibles de produire leur effet même avec des installations modestes, mais qui prennent évidemment toute leur dimension sur de gros systèmes. Le plus pur plaisir d’écoute est garanti !

Signalons aussi que le disque Cactus of Knowledge est toujours disponible au format DVD-Audio (stéréo) auprès d’Enja Records.