samedi 6 février 2010

La Semaine du Son - janvier 2010 (4)


Pourquoi jouer et écouter
toujours plus fort ? (suite)


Forte de son expérience de chef d’orchestre, Mélanie Thiébaut donnait ensuite son point de vue sur le respect de la dynamique et des nuances sonores, qui font une grande partie de la différence entre deux interprétations d’une même œuvre. Un point de vue plus «pratique», complémentaire et même parfois antagoniste (mais en apparence seulement) avec les précédentes conclusions.

Pour commencer, le chef soulignait en effet l’importance de ne pas accélérer le tempo ou la vivacité des attaques sous prétexte que l’on joue plus fort. Ceci contribue en général à produire un son compact, très dense, au caractère agressif.

Sa pratique de la direction d’orchestre à l’opéra est là pour le prouver : dans ce contexte, il faut pouvoir jouer fort sans pour autant masquer la performance des chanteurs, ou les obliger à s’époumoner ! Il faut donc que l’orchestre parvienne à jouer «souple et ample» à la fois, que les instrumentistes évitent de faire claquer leurs attaques, sans jouer mou pour autant ! Il faut en quelque sorte que les instruments imitent le geste vocal des chanteurs, qui souvent commence par une inspiration et non par une explosion. Il faut à tout prix éviter la projection des sons. A cet égard, l’écoute mutuelle au sein de l’orchestre est fondamentale, parce qu’il faut jouer «large», pour et avec les autres, et non de manière directive, pour se mettre en avant individuellement.

Le vibrato sert par ailleurs à porter l’émotion d’un passage et ne doit pas non plus s’accroître avec le niveau. Ce paramètre de jeu est ajusté par le chef en fonction de ses intentions, et évidemment des indications du compositeur, sans forcément varier avec le volume sonore demandé.

Mélanie Thiébaut rappelait également qu’un beau pianissimo est un pianissimo dense, riche en timbre, et est paradoxalement très fatiguant à jouer. Dans une jolie formule, elle soulignait que la même énergie est mise en jeu par l’instrumentiste pour le forte et pour le pianissimo (qui n’est qu’un «forte contenu»). Et c’est précisément toute la fraction que l’on n’entend pas, dans laquelle le musicien implique tout son corps, son esprit et son âme, qui est fondamentale. Elle est garante d’un résultat chaleureux et humain, en d’autres termes : musical...

Les micro-variations de tempo que le chef autorise de sa battue sont également très importantes. Elles contribuent à donner une respiration à un ensemble orchestral, à lui éviter de sonner trop agressif parce que mécanique.

Il y a donc mille et une manières de jouer fort ou faible, là aussi le résultat mesuré n’est pas forcément corrélé avec le résultat d’écoute. En général, il faut mettre tout son art à ce que les fortissimi ne claquent pas de manière impitoyable et systématique, et à ce que les pianissimi soient suffisamment pleins et «intenses» pour qu’ils soient perceptibles et appréciables par tous les auditeurs présents dans la salle de concert.

Mais il y clairement refus de jouer pour les auditeurs qui voudraient entendre au concert ce qu’ils obtiennent chez eux avec leur système haute-fidélité. Qu’est-ce que Mélanie reproche exactement au disque ? Le manque de respect des nuances (la faute à la compression de dynamique, ici encore ?) et le gommage quasi systématique des imperfections de jeu qui font toute l’humanité, le charme d’une interprétation. Un excès de correction dans lequel on peut assez facilement tomber aujourd’hui (voir les outils dont on parlait à la journée Ircam) et qui nuit grandement – et souvent – à l’expressivité réelle des œuvres.

Le recours à la compression de dynamique était abordé par Nicolas Poitrenaud, formateur à INA Sup, qui présentait de manière illustrée le paradigme de la sonorisation de concert. On se rendait vite compte à quel point cette problématique vire au casse-tête (!) chinois dès lors qu’il s’agit de sonoriser une salle de concert ou se produit une formation «qui joue fort» (pop, rock).

L’ingé son façade doit en effet gérer les différentes sources de bruit présentes dans la salle : les systèmes de ventilation ou de climatisation, le public lui-même (d’autant plus déchaîné qu’il assiste à un concert de musique violente), les systèmes de retours acoustiques (enceintes posées sur scène à destination des musiciens eux-mêmes). Il faut d’ailleurs noter que ces retours sont orientés vers les musiciens et non vers le public, vers lequel ils rayonnent majoritairement des fréquences graves, masquantes pour les sons des registres medium-aigu. Il faut également citer la réverbération naturelle des salles, qui peut constituer aussi une gêne auditive à l’intelligibilité, contre laquelle il faut lutter.

Tout ceci définit un plancher de bruit parfois très élevé, au dessus duquel il faut placer la dynamique de l’ensemble sonorisé, en respectant autant que possible une marge d’environ 25 dB, qui en pratique permet de garantir une bonne intelligibilité des passages les plus faibles du message.

Il faut ensuite réaliser un équilibre de niveau entre les différents pupitres, qu’ils soient naturellement forts (batterie) ou quasi-silencieux (une guitare électrique n’émet pratiquement aucune énergie sonore directe).

Or 105 dB est la limite de niveau sonore en lieux publics. On voit donc qu’avec une salle générant ne serait-ce qu’un bruit de fond de l’ordre de 80 dB, auxquels on ajoute les 25 dB de garde, il faudrait que la formation sonorisée soit reproduite avec une dynamique nulle (!) s’il on veut respecter les normes.

Le même type de raisonnement est tenu en diffusion radio, où le signal est fortement compressé (plus que 6 dB de dynamique résiduelle sur certains émetteurs) avant l’envoi aux auditeurs par voie hertzienne. Car il faut tenir compte des environnements bruyants dans lesquels les émissions seront écoutées (en voiture, en transports en commun, dans la rue) et des problèmes de propagation de l’onde radio qui interdisent une écoute «confortable» dans des zones d’ombre du signal (faible couverture radio).

Cette problématique est malheureusement reportée dans les studios de production musicale. Car pour qu’une chanson devienne un tube, il faut qu’elle puisse être écoutée partout, y compris dans le métro, sur de petits écouteurs de lecteurs mp3, où une autre forme de compression est à l’œuvre (de débit cette fois), et fait aussi des ravages sur le respect des nuances. L’exemple sonore de musique techno montre d’ailleurs que ce genre est singulièrement pauvre en dynamique (quelques dB seulement).

L’écoute à niveau élevé, combinée à cette compression de dynamique qui ne permet plus à l’oreille de «respirer», de prendre des pauses, est d’ailleurs responsable de la surdité grandissante des populations les plus jeunes. L’uniformisation des niveaux tend aussi à rendre l’oreille paresseuse et l’écoute passive, ce qui rejoint la remarque de Mélanie Thiébaut sur les habitudes d’écoute du public.

Ce sujet constituait le thème de la table ronde finale, qui réunissait des intervenants de tous horizons. La question de l’abus de la compression et du volume sonore est donc posée, et ici avec des interlocuteurs qui la déplorent unanimement (y compris le représentant d’un grand diffuseur radiophonique). Malheureusement, en dépit des bonnes volontés affichées, il n’est pas sûr que cette problématique trouve une résolution immédiate !

Mais avant cela, le groupe Hadouk Trio s’était prêté au jeu, en interprétant deux fois le même morceau. Une première fois avec une amplification respectant la dynamique naturelle de la formation (comprise entre les niveaux de 55 et 85 dB, donc de l’ordre de 30 dB), une seconde fois avec mise en œuvre de compression. Même si l’effet restait assez bien dosé dans ce bel Auditorium Saint Germain très silencieux, il est indéniable que la compression, même appliquée de façon modérée, nuisait à la fluidité, à l’expressivité, et finalement à l’intérêt du morceau.

Le jeu de Loy Ehrlich
d'Hadouk Trio,
passé au crible du sonomètre

Cet après-midi très informatif a montré que bon nombre de professionnels sont conscients des ravages que produisent la compression et l'élévation permanente des niveaux sonores. Le mérite revient à Christian Hugonnet, à La Semaine du Son, à ses différents partenaires et invités d'avoir porté le débat sur la place publique d'une manière aussi claire et compréhensible !


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