vendredi 11 février 2011

Exercices du silence de Brice Pauset



Une mystique dans la douleur


Avec «Exercices du silence» le compositeur Brice Pauset, féru d’histoire et de philosophie, a mis en musique le contenu de lettres écrites par Louise de Bellère du Tronchay (1639 - 1694), qui se fit appeler Louise du Néant peu avant son internement à La Salpêtrière à l’âge de 35 ans. Mystique parmi les mystiques, avide de mortifications, cette personnalité hors du commun issue de la noblesse - et qui dans sa prime jeunesse avait fréquenté le couvent de l'Abbaye du Ronceray à Angers - fit le choix délibéré après quelques années d’enfermement de partager la condition misérable des folles et des miséreuses mises au ban de la société de l’époque.


Cette pièce difficile et heurtée fut créée en 2008 et est reprise en 2011 à l’Ircam, Brice Pauset ayant retouché a l’écriture de la partie pianistique. On ne s’attend évidemment pas, avec une telle thématique, à entendre une oeuvre légère et gaie. Effectivement, la vision développée par Brice Pauset a tout du cauchemar. Le compositeur déclare lui-même que les quatorze tableaux de cette pièce «exposent avec une certaine méthode le prix à payer pour un idéal donné». Et ce prix est ici particulièrement élevé. 


C’est ainsi que l’espace scénique confine au dénuement le plus total, partagé entre le pianiste Michael Wenderberg, et la soprano Salomé Kramer qui évolue à petits pas dans un lieu sombre, juste ponctué d’une chaise et d’un bloc qui pourrait être de pierre glacée. Et de l’introduction - sombre collage sonore aux extraits éparpillés et indistincts - à la coda, l’oeuvre entière semble traversée par une difficulté extrême qu’aurait le personnage de Louise du Néant à énoncer son propre sort. 


Un parti pris singulier, puisque dans la réalité on fit plutôt reproche à Louise de son intarissable volubilité, et de faire tant publicité de ses actes de contrition. Mais il est vrai aussi que ses sonores crises d’hystérie ou ses tentatives d’auto-mutilation écartent d’elle toute compréhension - à l’exception de celle de l'un de ses confesseur, le père Jean Maillard, qui publiera sa biographie. Et, dans le contexte de l’époque, Louise est non seulement victime de sa passion dévorante pour le Seigneur, mais aussi de l’opprobre qui frappe les derniers vrais mystiques que la cause religieuse ait engendré - et que la bonne société assimile à des phénomènes de foire, quand ce n’est pas à de répugnant(e)s sorcier(e)s. 

La prosodie imposée au personnage de Louise repose le plus souvent sur la dislocation des phonèmes et la décomposition des timbres. Voyelles et consonnes sont écartelées, tandis que le piano martèle le grave ou l’aigu de manière exacerbée. Il en va de même de l'espace sonore qui cerne le public, qui donne à entendre une perspective infiniment lacérée (ce que rend possible le dispositif électro-acoustique déployé tout autour de la salle et le contrôle du son en temps réel depuis la régie).

Finalement, «Exercices du silence» est plus une épreuve qu'une initiation, que ce soit pour les musiciens ou pour les auditeurs. Par l'accumulation d'effets sonores crispants, Pauset ne montre guère de complaisance vis à vis de son personnage. Ni pour son public, toujours soumis à la prédominance d'harmoniques impaires, d'innombrables fractures sonores, et à la quasi absence de résolution de ces tensions bruitistes. 


Or, on aurait pu espérer que les moments d'extase de Louise soient retranscrits par de véritables stations de plénitude musicale, où son humanité et sa totale dévotion auraient été réhabilités. Mais, à défaut de suggérer plénitude ou sérénité retrouvée, ces courts moments sont également présentés de façon paroxystique.


Ainsi, «Louise la pauvre» ne semble guère trouver de salut auprès du compositeur. Son destin serait-il donc de rester à jamais incomprise ?

De gauche à droite : Salomé Kammer, Olivier Pasquet (informatique musicale), 
Brice Pauset, Michael Wenderberg